Chasse royale III by Jean-Philippe JAWORSKI

Chasse royale III by Jean-Philippe JAWORSKI

Auteur:Jean-Philippe JAWORSKI
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2-36183-530-9
Éditeur: les moutons électriques, éditeur
Publié: 2018-12-04T00:00:00+00:00


Cette offensive repoussée n’a pas de quoi nous faire pavoiser. L’alerte a été très chaude ; il s’en est fallu de peu pour que la forteresse soit prise. Quoiqu’elle tienne toujours debout, la porte du Gué sera maintenant plus difficile à conserver. Suagre, Cictovanos et moi, nous restons jusqu’au soir pour renforcer les défenses des portails et organiser au mieux les tours de garde sur le chemin de ronde. Mais nous finissons par nous retrouver au palais royal à la tombée du jour.

Un spectacle navrant nous accueille dans la grand-salle. Secondée par ses femmes, la haute reine est en train de procéder à la toilette funèbre de Uisomaros. En témoignage de deuil, la souveraine et ses suivantes ont dénoué leurs cheveux et les ont couverts de cendre. Elles rincent le corps du vieillard en scandant des sanglots rituels. Entre leurs mains de lait, la dépouille du druide ressemble à une pauvre souche aux membres ligneux. Un poil chenu embroussaille son torse osseux, quelques tatouages brouillés se recroquevillent sur sa peau fripée. Lavées par les linges des femmes, on distingue nettement les trois plaies, au flanc, au cou et sur le crâne, qui lui ont ôté la vie.

Nous arrivons en ordre dispersé dans la salle du banquet, mais nous nous arrêtons tous à distance respectueuse pour assister à la cérémonie. Albios nous rejoint ; à côté de nous, il a l’air étonnamment propre, et pourtant il paraît peut-être plus abattu que les guerriers. Sacrila finit par réapparaître mystérieusement et se place entre le barde et moi.

« Tu aurais dû revenir plus vite », me reproche-t-elle à mi-voix.

Je hausse mes épaules lasses. Il en va toujours ainsi à la guerre : que d’occasions perdues pour un hasard favorable, tandis que les victoires elles-mêmes possèdent un arrière-goût d’irrémédiable…

« J’aurais dû sortir et m’interposer, se désole Albios.

— Tu serais mort avec lui, dis-je. Après que tu m’as secouru, ils ne te considèrent plus comme un barde libre.

— C’est une belle mort pour un druide portier, relève Cictovanos, surtout à son âge. Tu auras vécu pour la chanter, barde. »

Le poète secoue sa tête blanche.

« Hélas, soupire-t-il, combien de tués aurai-je à célébrer ? »

Sans doute devrais-je consoler le musicien ; après avoir hanté le palais des lustres durant, il considérait Uisomaros comme un vieil ami. Mais j’ai l’attention distraite par autre chose. Suagre ne s’intéresse plus guère à la dépouille du portier. Sans un mot, il couve Sacrila d’un œil sombre. À présent, il sait qui est la sauterelle : sa demi-sœur, au même titre que la mienne. Dans ce visage farouche, bleui de guède et noirci de suie, je peine à démêler les sentiments. Rancune ? Jalousie ? Élan contrarié ? Probablement l’ignore-t-il lui-même.

Plus tard, quand nous avons couché la dépouille du druide comme un prince, sur un chariot à quatre roues chargé d’offrandes par la reine, Cassimara donne un banquet funèbre. Le deuil est encore plus lourd qu’en d’autres funérailles ; notre assemblée clairsemée, échouée dans les vastes volumes du palais, est indigne du grand sage et du haut dignitaire que fut le Portier.



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